IMPORTANCE DU CRANE HUMAIN
Monseigneur Jean Pierre Youdjeu, Tau Abraksas, Archevêque de l’Eglise catholique Gallicane Apostolique de Bafoussam :
Grand exorciste, spécialiste des études mystiques, ce métropolite de l’une des branches de l’église catholique, a fait des recherches sur l’église occidentale et les traditions bamiléké dont il est tributaire et dépositaire.
Nous inaugurons avec cet iconoclaste, une série qui, au travers de certains sujets d’intérêt culturel, éclairera nos lecteurs sur la signifiance des pratiques coutumières et traditionnelles ancestrales de l’Ouest Cameroun.
Monseigneur, on reproche aux Bamiléké de s’intéresser aux crânes dans certains rites, ce que certains appellent crânologie. Ces pratiques sont-elles incompatibles avec la foi chrétienne ?
Nous pensons d’emblée que Dieu n’a pas interdit la crânologie (Confère le livre de la Genèse chap.50, 25), tout de même que Jésus n’est pas venu abolir l’ancienne loi mais plutôt la reformer (confère Matt. 5, 17).. La crânologie est un pan du vaste patrimoine culturel et traditionnel Bamiléké. Or nous pensons que nous ne pourrons pas mieux expliquer notre point de vue si nous ne faisons pas allusion à d’autres aspects de cette tradition et culture qui ont une relation directe et intime avec la crânologie.
Quels sont ces aspects dont vous parlez ?
Dans la culture et la tradition Bamiléké, chaque concession familiale, tout groupement de famille, quartier et tout village fonctionne automatiquement avec un ou plusieurs égrégores (ou esprit groupe) ou lieu sacré qui symbolise l’église et l’autel de célébration traditionnels. Ces endroits sacrés sont des gîtes, des réceptacles où les dieux, les esprits psychiques des morts qui méritent d’être vénérés comme ancêtres de la famille, en communion avec les dieux, président et travaillent à l’évolution et au destin de la famille, du groupement, ou du quartier voire du village tout entier. Ils rendent compte directement au Grand Architecte de l’univers. Les esprits groupes se complémentent et se respectent mutuellement, et sont en bonne entente et intelligence avec d’autres dieux hiérarchiques, car tout est bien organisé et il n’y a pas de confusion. Ce sont là nos intermédiaires, nos intercesseurs sur le plan traditionnel, leur rôle étant de transmettre nos doléances avec avis favorable ou non, car les bienfaits spirituels sont accordés par Dieu à chacun selon ses mérites et ses capacités, grâce à la prière des ancêtres regroupés au lieu sacré qui est le saint des saints traditionnel.
La Sainte Bible et les autres religions révélées reconnaissent-elles les intermédiaires ? Si oui, pourquoi condamner nos pratiques ?
La tradition biblique nous cite une longue liste d’intermédiaires au chœur des anges qui sont : les anges, les archanges, les vertus, les puissances, les trônes, les dominations, les principautés, les chérubins, les séraphins et j’en passe. C’est un véritable réseau de relations. Ils travaillent tous en bonne intelligence et harmonie pour le bien être de l’humanité tout entier : ce sont les hiérarchies célestes, la Jérusalem d’en haut.
L’hypocrisie et le fanatisme invétérés qui voudraient que certains Bamiléké n’assument pas de vivre leur spiritualité chrétienne (ou musulmane ou juive etc.) en parfaite harmonie et équilibre avec leur tradition, sont très regrettables à notre avis. Pire encore, certains d’entre eux vont jusqu’à dire que tout ce qui relève de la tradition et de la culture africaine en général et Bamiléké en particulier, est satanique. Pourtant nous le savons très bien : c’est la pierre que les Bâtisseurs ont rejetée qui est devenue la véritable pierre angulaire de l’édifice du Temple ; ne nous y trompons pas, tout ce qui est en bas est comme ce qui est en haut.
Les contempteurs de ces pratiques reprochent aux adeptes d’adorer les crânes au lieu de Dieu. Or à vous entendre, il y a de fortes similitudes entre les pratiques chrétiennes et païennes…
Dans la religion des Blancs, la Bible nous enseigne que l’homme ne peut s’adresser à Dieu directement sans passer pas Jésus-Christ. De même, dans la tradition et la culture Bamiléké, celui qui est désigné comme chef de famille est le gardien des crânes et joue le rôle de pasteur et de sacrificateur au niveau de la famille ou du clan. Il a pour mission d’accomplir les rituels traditionnels de vénération qui sont nécessaires pour la cause d’un tel ou tel autre membre de la famille : il est le prêtre ou le pasteur traditionnel par excellence, et tout ceci s’appelle chez les chrétiens « messe d’action de grâce pour ceci ou pour cela ». Mais en vérité, c’est la communion avec les ancêtres. On vénère les dieux et on adore Dieu. Nonobstant le fait que la tradition et la culture Bamiléké sont orales et non écrites comme la Bible des chrétiens, le Coran des musulmans ou la Thora des juifs, il n’en demeure pas moins que la vérité et l’essentiel y sont. Il suffit de s’abreuver à la bonne source et vous n’avez aucun problème.
Certains chrétiens soutiennent qu’il est impossible de jumeler les deux pratiques. Selon eux, quand on est un bon chrétien, on doit se détourner des traditions en matière religieuse, surtout lorsque intervient le crâne. Qu’en est-il ?
Il n’y a aucun mal à vivre pleinement et harmonieusement sa foi chrétienne pour remettre à Dieu ce qui appartient à Dieu à travers Jésus Christ ; et sa tradition ainsi que sa culture pour remettre à César ce qui appartient à César, à travers la vénération de nos crânes et de nos lieux sacrés. Nous croyons et pensons qu’il faut rendre aux dieux le culte consacré à eux et garder ensuite sa foi. Car honorer son père et sa mère (4ème commandement de la Bible) c’est aussi pratiquer selon la tradition ce qui a été cru et enseigné par nos ancêtres et nos aïeux ; puisque cela était aussi dès le commencement par les ancêtres fondateurs, cela est maintenant et cela demeurera toujours pour des générations futures. Pour être terre à terre, nous allons choisir un instrument très simple pour mieux vous faire comprendre. Le crâne humain a le même mode opératoire que le téléphone portable.
Pouvez-vous expliciter?
Volontiers ! Achetez un téléphone portable dernier cri, vous devez obligatoirement y joindre une puce avec un numéro qui vous permet d’appeler et de recevoir. Vous devez avoir mis des unités afin de voir votre durée d’accès au réseau prolongée et même de pouvoir communiquer. D’où le parallèle suivant : Crâne = catalyseur, puissant moyen de communiquer avec les dieux. Communication avec les dieux = les unités, les offrandes. Unité, offrande = appel et accès réseau. Bien entendu toute chose dans ce bas monde a un prix, il n’y a donc rien pour rien, les dieux ne sont pas des mendiants.
Sur le plan cosmique, comment s’opère donc cette connexion lors de la liturgie?
Bien. La liturgie me donne le second exemple pour mieux nous faire comprendre d’avantage. La liturgie Catholique s’entend: elle est une vraie cérémonie magique. Mais ceux qui assistent y vont sans jamais voir et comprendre ce qui se passe en réalité. Ce n’est qu’après avoir associé le monde des vivants à celui des morts à son sacrifice, que le prêtre pourra communier en son nom et au leur, que la prière monte tout droit vers Dieu. Lorsque le prêtre dit la messe sur un autel consacré avec la relique d’un saint, au moment de la consécration, il se passe des mystères. Une sorte de lumière éclatante sort de certains fidèles en prière, cette lumière sort au niveau du cœur et vient se condenser autour du prêtre qui est couvert. (Des fidèles qui viennent là uniquement pour la «Forme», n’émane aucune lumière).
Une lumière resplendissante entoure le calice qui contient les hosties sacrées, chaque hostie est lumineuse. Cette lumière qui vient se fondre dans celle du prêtre semble dépendre directement du nombre des fidèles réellement lumineux. Toutes ces lumières s’élancent vers le ciel en forme de triangle, pointe levée vers le ciel, et au même instant du ciel descend une autre lumière vive en forme de triangle pointe baissée vers la terre. C’est la communion avec les saints, les deux triangles font fusion et le miracle se produit dans la vie de certains fidèles qui sont en prière. S’ils en sont dignes.
Qu’arrive-t-il si la célébration se passe sur un autel de fortune non consacré ?
Sur un autel ambulant ou de fortune, c'est-à-dire sans pierre d’autel : même émanation de la lumière de la part de certains fidèles, cependant les lumières ne se condensent pas avec unité atour du prêtre, elle reste autour des fidèles. Par contre, les espèces de la communion (pain et vain) sont aussi très lumineuses et la fusion de la lumière du communiant avec celle des espèces a lieu seulement au moment de la communion. Comprenez bien la nuance : avec une puce de téléphone sans unités, on reste quand même joignable. Mais on ne peut communiquer.
Le crâne est donc comparable à une relique des saints chrétiens qu’on place sous l’autel?
Vous l’avez dit ! Bref, la crânologie est une science, et le crâne est un catalyseur, un puissant moyen de communication sûr et rapide avec le monde des dieux si nous savons en faire bon usage. Nous aurons beaucoup d’autres choses à dire au sujet des crânes mais toujours en relation avec d’autres pans de voile de la culture et de la tradition si le bon Dieu le veut.
Merci pour cette disponibilité Excellence. Monseigneur, que dire donc pour conclure sur ce point?
Le chrétien ou le musulman Bamiléké se devrait de rester indépendant au milieu de tous les cultes également respectables. Car chaque continent a généré sa flore, sa faune et sa race humaine. Chaque race humaine, chaque grand peuple a synthétisé ses aspirations psychiques dans un culte ; aussi chaque culte est-il vivant d’une parcelle de l’unique vérité. Le Bamiléké doit savoir prier aussi aisément dans l’Eglise que dans le Temple, dans la Synagogue que dans la Mosquée, et dans la Forêt sacrée. Car partout le Verbe divin se révèle être le même, sous un voile différent. Laissons les gardiens du voile se quereller sur ses diverses couleurs, et communions en unité avec les adeptes de notre culture et de notre tradition. A chaque contrée son culte préféré ; et que les églises transforment leur clergé en les instruisant. Car il n’y a aucune Eglise, il n’y a aucune religion supérieure à la vérité. Si vous êtes par le fait de votre foi parvenu au milieu de votre religion, c’est que vous vous retrouvez au cœur de toutes les religions.
Entretien mené par Michel Mombio